Le tramway de La Rochelle (1901-1929) : Une merveilleuse entrée dans la modernité du XXème siècle
Si aujourd'hui, La Rochelle dispose d'un réseau de bus assez conséquent (je pense aux Yélos), et bien figurez-vous qu'il y a 100 ans, ce n'était pas le cas. Et pour cause, la ville disposait d'un maillage de tramway qui - il faut bien l'avouer - était impressionnant pour l'époque !
Vous le savez, j’ai fait des études d’Histoire il y a quelques années (jusqu’au Master). Et bien, en tant qu’historien, l’étude du temps que ce soient dans les villes ou dans les campagnes, est primordiale. En effet, on n’étudie pas un enchaînement de fait sous le même prisme que ce soit pour quelque chose qui s’est déroulé au moyen-âge ou il y a un mois.
Ces différentes visions « temps » passent aussi par les ressentis des protagonistes qui vivent ces faits. Leur regard sur les choses, évolue au fil du temps. Sous l’Ancien-Régime, toutes les activités du quotidien ne se faisaient pas aussi rapidement qu’aujourd’hui.
Par exemple, un trajet Paris > La Rochelle prend 2h30/3h environ en 2023 grâce au train. Mais vers 1700, avec le déplacement à cheval et les systèmes de relais à chevaux situés le long de la route, le trajet pouvait prendre jusqu’à 15 jours !
Ainsi, la perception du temps et des distances évolue au fil du temps. C’est au XIXème siècle que le rapport « distance/temps » diminue avec l’arrivée de nouveau moyens de transport … Dont le tramway !
Dans cet article, j’aimerai vous embarquer avec moi dans cette folle aventure qu’à été son édification à La Rochelle. Let’s go …
Le tramway de La Rochelle : de l'amorce à sa concrétisation (1883-1890)
Un projet qui a du mal à démarrer ...
L’implantation d’un nouveau moyen de transport interurbain ET en commun, à l’époque où les déplacements à pieds et à cheval était chose courante n’avait rien d’évident.
Surtout pour la municipalité de La Rochelle. Les élus se déchirent dès 1883 jusqu’en 1896. La première municipalité concernée est celle organisée autour d’Émile Delmas. Ce dernier est farouchement opposé au projet : il n’en voit pas l’utilité ! Ainsi, c’est sous la coupe de ce dernier que les premiers pamphlets et les premières caricatures vont voir le jour. Autrement dit, il va attiser le désamour des rochelais à l’encontre de celui qu’on appelait alors « le monstre de fer ».
Il faut attendre un an plus tard, en 1897 pour que le Conseil Municipal dirigé alors par Alcide d’Orbigny (successeur de Delmas), prenne le projet à bras le corps. C’est ce dernier qui, le 2 janvier 1898 – seulement – décrète que le tramway est « d’utilité publique« . Il rédige un décret dans ce sens dans le « Journal Officiel de la république Française en Charente-Maritime ».
Ici, les arguments argués par M d’Orbigny étaient clairs :
- La Rochelle s’industrialise : il fallait un moyen de transport pour faciliter les déplacements des ouvriers et dockers vers les sites de production, le port et les usines.
- La ville accueille des voyageurs d’affaire : certains voyageurs transitaient pour traiter d’affaires économiques (fret, ou le négoce maritime/d’engrais entre autre). L’installation d’un tramway servait aussi à transporter tout ce petit monde de la gare d’Orléans (située à l’actuel Espace Encan), Dauphine ou de La Rochelle.
- Un changement des modes de vie : le tramway de La Rochelle est pensé comme un vrai réseau interurbain et intercommunal de transports collectifs qui permettait aussi aux usagers de rejoindre les îles charentaises et notamment l’île de Ré.
En bref, le tramway de La Rochelle c’est bien plus qu’un projet de transport en commun classique : c’est un vrai mode de vie à part entière qui est proposé aux Rochelais. Et ça c’est quand même pas mal !
Mais comme tous changement, certains citoyens vont avoir peur. Ainsi, des voix d’élèvent contre le projet – que ce soit au début des travaux ou durant toute sa vie. Preuve en est avec ces deux exemples :
Quand les rochelais râlaient après le tramway ...
Cette contestation populaire d’une partie des habitants se voit par exemple le 8 juin 1899 avec cette Tribune retrouvée dans « Le Courrier de La Rochelle » :
Mais cette colère d’une frange des rochelais ne s’arrête pas après la mise en ligne du tramway. La preuve avec cette caricature datant de 1917 :
Transcription
- Ligne 1 : « Souvenir »
- Ligne 2 : « du fantaisiste, asthmatique et préhistorique tramway de La Rochelle ».
- Ligne 3 : « Dédié à la Compagnie qui secoue et empile les voyageurs au propre et au figuré, – au public qui a l’air… comprimé et content quand même! – aux Conseillers qui congratulent leur concessionnaire ».
- Ligne 4 : « (ça marche moins mal qu’en temps de paix) ».
Ce document semble anodin. Mais il n’en est rien. Nous pouvons voir une foule résignée, compacte mais contente de prendre le tramway de La Rochelle malgré la promiscuité.
De même, la caricature présente les causes du mécontentement de certaines personnes : le tramway serai dangereux car il créerait des accidents (en bas à gauche, illustration d’un accident avec une calèche) ; il serait dangereux aussi pour les usagers (2 wagons suivant qui se tamponnent) et il serai inconfortable (les passagers sont représentés comme massés dans les derniers wagons).
Concernant le bandeau encadrant les voyageurs et les wagons. Ce dernier nous donne des informations cruciales sur la vision du tramway par certains usagers. Dans les deux coins supérieurs de la bordure, nous pouvons voir les chiffres « 10 » et « 20 ». Ce sont les deux tarifs des tickets de tramway ! (Nous y reviendrons plus tard).
Les deux coins inférieurs, on peut voir également les mentions suivantes : « Le Mail est supprimé » et « La gare uniquement ». Ce qui sous-entend que les tarifs du tramway sont trop chers vis à vis du service proposé !
Étant bousculés dans leurs habitudes prises depuis des centaines d’années, beaucoup de gens sont inquiets et redoutent donc ce nouveau « monstre de fer » (comme on l’appelait à l’époque) qui ne va pas tarder à s’abattre à La Rochelle.
Mais d’ailleurs, comment le tramway s’est-il mis en place ? Qui l’a construit et surtout comment fonctionnait-il ? C’est ce que je vous propose de voir dès maintenant !
Les entreprises Mékarski : gestionnaires d'un tramway novateur et moderne !
En dehors de son aspect révolutionnaire pour changer les modes de vie des rochelais, le tramway marque aussi un tournant technologique et mécanique très important en ce début du XXème siècle.
En effet, il s’agit d’un moyen de transport collectif à air comprimé : une technologie encore très peu utilisée mais qui tend à se développer dans certaines agglomérations de France comme Saint Quentin en 1899, Vichy en 1895 ou Aix Les Bains en 1896. Le procédé est considéré comme le plus performant du monde (meilleure pression par exemple).
Qui est Louis Mékarski ?
Il est ingénieur français d’origine polonaise né en 1842 à Clermont-Ferrand. Plus précisément, Louis Mékarski est un membre éloigné de la famille royale de Pologne – son père était comte et cousin du roi Stanislas II. Sa mère, quant-à elle, était issue d’une famille de la noblesse française : les Cornelly de La Perrière. Mékarski est reconnu pour avoir amélioré le système de propulsion à air comprimé, technologique qui existait déjà bien avant.
Le fonctionnement de la propulsion à air comprimée
En dehors d’être plus efficace, l’air comprimé avait l’avantage d’être plus silencieux, plus propre (il ne polluait pas). Les réservoirs d’air comprimé étaient cachés sous les jupes du tramway. L’air était dispatché dans différents tuyaux transversaux (cylindres de tôle) avec un système de pistons et à tiroirs. L’air est propulsé à l’aide d’une pompe à compression actionnée par une machine à vapeur. Ainsi, l’air et la vapeur emmagasinées permettent d’agir sur les pistons des voitures et déclenchent ainsi un déplacement.
Le développement de la Société à Air Comprimé
Après avoir testé ces machines à air comprimé à Paris en 1840 (sans grand succès et grand émoi de la part de l’opinion public), Mr Mékarski tente de nouveau d’imposer ses idées dans une ville plus petite en 1876 : Nantes ! L’effet est immédiat et l’engouement est au rendez-vous. Mékarski créé donc une entreprise dédiée à la propulsion de moyens de transports à air comprimé. Ce sera la Société des Moteurs à Air Comprimé. De Nantes, la société gère donc plusieurs réseaux de tramway en province.
Quelques années plus tard, c’est lors de l’Exposition Universelle de 1878 que le tramway à propulsion à air comprimé conquiert les foules en présence du Président M. de Mac-Mahon. C’est un triomphe pour l’invention de Louis Mékarski qui devient l’interlocuteur privilégié du Président pour les procédés de propulsion à air comprimé : même l’industrie automobile veut s’en inspirer.
Les entreprises Mékarski : gestionnaires d'un tramway novateur et moderne !
La signature du contrat du tramway de La Rochelle est actée le 30 décembre 1897 en présence du maire de l’époque M. Alcide d’Orbigny. La cession de droit de gestion dure 15 ans, mais elle n’est effective qu’à partir du moment où elle a été annoncée dans le Journal Officiel de la République française.
C’est chose faite le 29 janvier 1898 ! Selon des extraits retrouvés en archives, il est expressément indiqué que la municipalité de La Rochelle cède la gestion et la construction du futur tramway de la ville à Mr Louis Mékarski et à sa Société. Les conditions principales d’attribution du marché sont les suivantes :
- L’entreprise « Société des Moteurs à Air Comprimé » basée à Nantes est unique et pleinement responsable en cas d’incident et d’accident survenant sur l’ensemble des lignes du réseau.
- M. Mékarski ne peut jouir de bureaux dédiés et alloués par la ville de La Rochelle. Une dois le contrat signé, il devra se débrouiller comme n’importe quel citoyen et habitant pour les acquérir après demande auprès de la Mairie.
- Tous les matériaux entrant dans la confection des rails, de l’aménagement de la voirie (tâche sous-traitée à un entrepreneur en travaux publics Mr Baudry) ainsi que dans la création des wagons de tramway devront être uniquement d’origine français. De même pour l’ensemble du personnel travaillant sur la construction ou recrutés pour être à bord des rames : conducteurs, techniciens, … (il y avait donc une nette préférence nationale dans ce projet !).
- Les délais pour réaliser les différentes portions (les lignes principales) s’égrainent entre 6 et 9 mois à partir de la date de signature dudit contrat de gestion.
- En cas de manquement grave à l’entretient des voies et des infrastructures ou en cas d’accident qui surviendrait, l’État pourra saisir l’ensemble des revenus d’exploitation (recettes des tickets notamment) pour réparer les dégâts ou forcer l’entreprise Mékarski à faire les travaux nécessaires pou régulariser la situation.
- De même, au bout de 15 ans sans manquement grave à ses obligations stipulées dans ledit contrat, l’État pourra racheter la gestion à l’entreprise Mékarski pour le tramway de La Rochelle
- En cas de manquement majeur et grave à ses obligation avant la fin de la période de session de 15 ans, l’État peut se ré approprier de force, sans concertation avec Mr Mékarski, la gestion pleine et entière du tramway de La Rochelle
Nous sommes donc sur un contrat très important qui entérine le début des travaux pour l’érection du tramway de La Rochelle.
Ce dernier sort de terre dès juin 1899 (date de début des travaux) avec un peu de retard sur les 6 mois annoncés dans le contrat … ça commençait bien. D’ailleurs, ces retards ont été soulevés et commentés dans la presse locale où l’on s’insurge de voir les rails du tramway « stockées et pourrir » littéralement sur les quais du port de La Pallice sans que personne ne s’en occupe !
Au final, ce sera donc la Compagnie des Tramways de Nantes qui gère les affaires de La Rochelle entre 1901 et 1926, date à laquelle il est reprit par la municipalité pour mauvaise gestion. Mais ce tramway va quand même réussir à être achevé. Une fois mis sur les rails, ce dernier sera très efficace. Les habitants seront rapidement comblés par l’arrivée de cette technologie moderne. C’est ce que je vous propose de voir par vous même dès à présent. Prenez votre ticket : on monte en voiture !
Prendre le tramway à La Rochelle (1901-1929) : toute une aventure ...
Un réseau très complet inauguré en grandes pompes !
Après 2 années de travaux menée à bâtons rompus et d’une main de maître par les entreprise Mékarski, le tramway de La Rochelle sort de terre le dimanche 25 août 1901 ! Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce fut tout un évènement. Comme dit plus haut, dès les premiers mètres effectués par les motrices font basculer La Rochelle et ses habitants dans une autre ère : celui de la modernité et des transports en commun automatisés … Tout un flot de chamboulements pour les habitants de La Rochelle.
Le récit de l’inauguration et du premier trajet en tramway nous est raconté dans un communiqué de la CCI de La Rochelle (Chambre de Commerce et d’Industrie). Ce dimanche matin, à 7h30, Mr Alcide d’Orbigny – maire de La Rochelle et M. Charruyer – député de Charente-Maritime, montent dans les 3 premières voitures du tramway qui va assurer la liaison entre Tasdon et La Pallice. Ces trois voitures et cette première ligne sont également inaugurées en présences membres de la CCI et les membres du Conseil Municipal de La Rochelle. Au total, c’est un ensemble de 35 personnes qui s’amassent et prennent place à bord du tramway. Seulement problème : il n’y avait que 16 sièges ! Nous vous laissons imaginer l’ambiance à bord (et la chaleur qui devait s’en dégager).
Ces hommes politiques sont impatients et blagueurs (on nous dit que l’ambiance est « bon enfant ») sont de suite impressionnés par ce que l’on appelle alors « un char aux superbes glaces ». On voit ainsi s’égrainer dans la presse un ensemble de mots aux consonances antiques, ce qui est assez surprenant ! Le premier trajet n’est en réalité qu’une portion de la première ligne. En effet, ces premiers voyageurs partent de la Place de Verdun et s’arrêtent au niveau de La Pallice pour voir partir un paquebot transatlantique en direction des États-Unis. Le temps estimé pour ce premier trajet est d’environ 30min. En effet, le tramway ne va pas bien vite (12km en moyenne seulement !). Mais en ce début de XXème siècle, c’est déjà pas si mal : le tramway va bien plus rapidement que la marche ou la charrette. Au final, ce premier voyage est un succès : tous le monde est conquis. Ce dernier peut se résumer avec les mots d’un sénateur qui avait pris place à son bord : « Les conseillers enthousiastes (…) mon dieu qu’ils ont l’air comprimés ! ». Ici, le sénateur fait un trait d’humour entre le fait qu’il y eu trop de monde à son bord et le fait que les passagers respiraient un mélange d’oxygène et d’air comprimé (énergie avec laquelle le tramway avançait).
Le tracé du tramway de La Rochelle
Tout les habitants du centre-ville de La Rochelle ont été concerné un moment où à un autre par les déplacements du tramway. En effet, ce dernier avait 3 lignes principales qui maillaient le territoire de la cité. On estime qu’il fallait plus de 45min pour traverser la ville de part en part, ce qui est révolutionnaire pour l’époque !
Voici le maillage de l’époque :
Le trajet du tramway de La Rochelle se décompose en plusieurs segments :
- Une portion partant de l’actuelle passerelle de la gare à la place de Verdun. Cette première ligne passait devant l’actuelle gare, prenait l’équivalent de l’avenue du 123ème régiment d’infanterie (devant le Mercure), passait sous la porte St Nicolas (détruite en 1921), remontait les quai Valin et Duperré. À l’embranchement de la statue de l’Amiral Duperré, le tramway tournait sous la grosse horloge. Il remontait le long de la rue du Palais et de la rue Chaudrier.
- Une autre portion entre la place de Verdun et le port de commerce de La Pallice. Cette seconde portion était elle aussi très empruntée par les rochelais souhaitant prendre un paquebot où se rendre dans les usines sur le port. Elle partait de la place de Verdun, prenait l’avenue du Général Leclerc, l’avenue Carnot. Elle bifurquait ensuite avenue Denfert Rochereau puis à gauche rue de Montréal puis à droite boulevard Delmas. Le terminus était rue du Congo, tout au bout du port de La Pallice.
- La dernière portion concernant un autre embranchement au niveau de l’avenue Coligny. Il s’agit ici aussi d’un embranchement pour permettre aux usagers de rejoindre le cour du Mail, les bains Marie Thérèse (actuelle plage de la Concurrence) et le Casino en toute simplicité. La ligne s’arrêtait à l’extrémité de l’avenue.
Ainsi, si l’on pouvait résumer ce réseau primitif, nous pourrions dire qu’en tout et pour tout il y avait 3 lignes réparties sur 7 à 9km, décomposées en deux lignes principales (en bleu et rouge) et une ligne secondaire (en vert). Toutes ces lignes s’articulaient autour de la place de Verdun qui était un véritable pôle giratoire ou qui jouait le rôle de « tour de contrôle » pour aiguiller comme il se devait les rames qui acheminaient ou prenaient les voyageurs.
La fermeture des lignes du tramway de La Rochelle
Il est important de mentionner que ces lignes n’ont pas toutes été ouvertes et fermées en même temps. En effet, le segment reliant la place de Verdun à Laleu ouvre en 1901 et ferme en 1929. Celle allant de la place de Verdun à Tasdon (avant la passerelle) circule de 1901 à 1924.
Ce lieu de départ de cette ligne est changé en 1920 pour cette ligne puisque l’actuelle passerelle en fer est érigée en 1913. Idem pour la section entre l’avenue Carnot jusqu’au Mail : elle ouvre en 1901 et ferme en 1924
Les spécificités des lignes du tramway de La Rochelle
Lorsque Mékarski implante le système de tramway dans la ville, il apporte deux innovations supplémentaires. Ces changements vont s’opérer d’un point du point de vue de l’organisation de l’ensemble du maillage. Ces derniers vont venir impacter les trajets et les conditions de transport des usagers.
La station de "biberonnage"
Le tramway de La Rochelle détenait une station dîtes de « biberonnage » pour réapprovisionner les motrices en air comprimé.
Le dépôt était situé sur le point le plus haut du réseau, à mi chemin entre Verdun et La Pallice. Il était à l’embranchement de l’avenue Edmond Grasset et de l’avenue des Corsaires. Ce dernier était composé de bureaux administratifs mais aussi d’hangars dédiés au stockage de l’air comprimé utile pour le fonctionnement des tramways.
Les recharges étaient assez fréquentes (le nombre moyen est inconnu). Mais voici le système de fonctionnement de la station : les tramways arrivaient sur des rails qui longeaient les bâtiments (représentés ici sur le plan aérien). Puis, par un système de branchement (un peu comme les voitures électriques aujourd’hui !), le gaz était diffusé dans les valves de stockage du tramway.
Les plateformes tournantes"
En plus de bien desservir la plupart des lieux d’intérêt de l’époque, le tramway de La Rochelle a été voulu pour être un transport pratique à manoeuvrer.
Ainsi, chaque extrémités des lignes, les locomotives et les wagons devaient se mettre sur des plateformes tournantes qui étaient manoeuvrées à la main par des ouvriers dédiés. En quelques minutes, les rames changeaient donc de sens et étaient prêtes à repartir ! Simple et efficace.
Des conditions de voyage modernes et ... archaïques
Les rails
Après avoir vu l’organisation des lignes de tramway, il est temps de monter à bord. Tout d’abord, analysons quelques chiffres techniques des rails sur lesquels ce transport urbain circulait.
D’après les informations (très précises) du contrat de cession de la gestion de l’infrastructure, Mékarski devait concevoir (ou faire concevoir) des rails :
- Espacées d’1m précisément.
- Les voies pouvaient être scindées en deux parties, dans ce cas là, la largeur entre les deux portions de rails étaient de 1,41m ni plus ni moins.
- La largeur des rails ne doit pas dépasser 2,9cm en ligne droite en ville et 3,15cm pour les courbes.
- Elles devaient être réalisés en acier et devaient pouvoir supporter une pression de 20kg/m au maximum.
Autre chose, même le contrôle des portions de voies courbées furent analysées :
- Il fallait que ces dernières ne fassent pas plus de 25m d’amplitude.
- Dans le cas où la voie empiète sur la chaussée ou une voie de circulation automobile, les rails devaient être intégrées dans les bossages et dénivelés afin de ne pas perturber les environs.
- Élévation de 18/20cm tolérée au maximum sur un terrain plat et jusqu’à 30cm lorsqu’il y avait un trottoir.
- L’installation des rails ne doit pas empiéter à plus de 2,60m sur la chaussée ou la voie de circulation.
Ainsi, les rails sont posées à même le sol. Il ne fut pas que le parcours du tramway perturbe le trafic rochelais. Pour se faire, sur tut le tracé, on fait d’abord sauter les pavés PUIS on pose les tronçons de rails préalablement confectionnées aux bonnes dimensions.
Comment prendre le tramway à La Rochelle ?
Nous avons posé les rails. Voyons maintenant les conditions de voyage à l’intérieur. Comment les voyageurs prenaient le tramway à La Rochelle ?
Tout d’abord, il faut savoir qu’au début, prendre le tramway c’était toute une expédition. Les conditions de transport étaient assez archaïques. En effet, de nombreux témoignages attestent qu’il n’y avait pas d’arrêts prédéfinis : le conducteur s’arrêtait et prenait des voyageurs à son bon vouloir. Ainsi, des passagers se sont retrouvés sur le carreau car le tramway ne les avaient pas vus. Il faut attendre des demandes de riverains auprès du Préfet de Charente-Maritime pour avoir des arrêts fixes et définitifs (au début uniquement dans les courbes).
De même, les équipements à bord étaient assez rudimentaires mais très modernes pour l’époque. Il faut imaginer des rangées de bancs de bois, sans rembourrage. Les vitres étaient en simple vitrage bien entendu et il n’y avait pas de chauffage ni possibilité d’ouvrir les vitres. En été la chaleur était suffocante (avec les odeurs qui vont avec !) Et en hiver, les conducteurs distribuaient des bouillotes aux passagers qui avaient froid.
Pour guider correctement les usagers et savoir le sens de la marche, des petites pancartes indicatives étaient placées à l’avant et à l’arrière des wagons. Avec ce système, impossible de louper sa destination !
D’ailleurs, en parlant d’arrêts et de sens de la marche, il est important de préciser les fréquences de passage pour chaque ligne. Il y avait 3 lignes, donc il y avait plusieurs types d’heures de passage :
- Ligne La Pallice > Tasdon : 1 tramway/heure.
- Au départ du chalet d’octroi de La Pallice : 3 tramways spéciaux (1 matin / 1 midi / 1 soir).
- Ligne Tasdon > Place d’Armes : 30 tramways/jour.
- Ligne Place d’Armes > Le Mail : 10 tramways/jour.
Les tramways n’allaient pas très rapidement (mais c’était déjà une petite révolution pour le début du XXème siècle) : 10km/h maximum entrer Tasdon et la place d’Armes et 20km/h sur le reste du réseau. Il ne fallait donc pas être pressé pour se déplacer !
Les tarifs
D’un point de vue tarifs, nous avons également aussi quelques informations. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ces derniers sont très complets.
- Billet classique : 0,10ct de francs/voyage (pas d’A/R).
- Tarifs réduits : 0,05ct de 3-7 ans (au delà, les enfants devaient payerun billet classique). La réduction concernait aussi les soldats qui prenaient le tramway en uniforme (après 1918).
- Tarifs ouvriers : 0,05cts. Il concernant 3 trains quotidiens (le matin, à midi et le soir). Ce tarif et ces trains spéciaux permettent aux ouvriers et dockers de pouvoir aller au travail à moindre frais.
Cas particulier : Les bébés étaient considérés comme des paquets. En effet, il fallait qu’il soient tenus sur les genoux et ne pas faire de bruit pour avoir un billet gratuit. En cas de chahut ou de non présence sur les genoux, les bébés devaient payer leur billet plein pot.
Notons aussi que la compagnie gestionnaire a possibilité de faire des offres promotionnelles spéciales pour une période donnée. Dans ce cas, les conducteurs et la compagnie doivent avertir les usagers un mois à l’avance.
Côté colis, en plus des bébés de -3ans, les voyageurs peuvent se déplacer à bord les colis et les paquets de 5kg maximum du moment que ce dernier est placé sur les genoux.Le tarif du trajet était majoré en cas de déplacement avec un colis de plus de 5kg.
La perte de vitesse et la panne sèche du tramway de La Rochelle (1920-1929)
La diversification des activités et des prestations dans l'entre-deux-Guerres
Les prémices du marketing et de la communication moderne ...
En, dehors du transport de voyageurs, le tramway était également un outil indispensable pour les entreprises locales et nationales. En effet, grâce à Mékarski, elles exploitent la publicité sur les tramways.
Ces derniers possèdent plusieurs emplacements idéals : sur le flanc droit, gauche et l’arrière du véhicule pour poser des affichages publicitaires. Au début, le chaland peut y retrouver uniquement des entreprises d’envergure nationale comme le Chocolat Mercier ou la pâte Bi-Oxyne (l’ancêtre du dentifrice). Mais, petit à petit, on retrouve également des enseignes plus locales comme une réclame pour les chocolats Louit (produit à Bordeaux par deux frères à partir des années 1825) ou même des entreprises rochelaises (bijoutiers, tailleurs, …).
Les tramways deviennent alors de véritables panneaux publicitaires mobiles. De cette manière, les entreprises peuvent ainsi élargir leur champ de visibilité et action en touchant tous les voyageurs. Il devient un support de communication de masse qui attire les regards et habille l’espace public.
Le tramway de La Rochelle : l'ancêtre de ChronoPost !
Enfin, le tramway de La Rochelle dépasse sa vocation première assurant le transport des marchandises et du courrier.
Il développe un important trafic de marchandises et même un service de tramways postaux. Ces services sont instaurés et autorisés par le décret du 2 janvier 1898 qui autorise le gestionnaire du tramway à proposer ce services aux entreprises et usagers qui en auraient besoin.Le fonctionnement était très simple : les tramways prenaient à la Poste ou aux points de départ et d’arrivée des différentes lignes. La redevance pour les usagers particuliers qui passeraient par ce service ou pour les entreprises sont à la charge du gestionnaire.
Le tramway apparait donc comme l’outil indispensable au service des habitants, et pourtant à partir des années 1920 il est de plus en plus boudé par les habitants.
Des accidents, des critiques et une concurrence forte : un tramway en perte de vitesse à La Rochelle
Le tramway d’abord prisé fait le fruit de vives critiques à partir des années 1920 de la part des voyageurs. Ces plaintes portent notamment autour de la fréquence insuffisante des tramways pour le nombre d’usagers, les horaires et itinéraire pas fixes, les retards fréquents et le temps de trajet jugé trop long. Mais également les habitants proches des voies, dénoncent les nuisances sonores lors des passages des tramways sur les voies.
A ceci s’ajoute les accidents fréquents qui présente le tramway comme un moyen de transport dangereux. En voici donc quelques exemples :
- 5 décembre 1902 : « L’Indépendant Rémois » dénonce un accident de tramway sur les voies. Un homme éméché a perdu pieds sur les voies et a été écrasé par le tramway. Il a été broyé et n’a pu être identifié avec ses vêtements uniquement. L’homme s’appelait Joseph Mademeine, il avait 39 ans.
- 9 novembre 1921 : « Le Peuple » indique qu’un citoyen marocain fut tamponné par le tramway de La Rochelle. Lui aussi était en état d’ébriété avérée. Il a été percuté et est ressorti dans un état désespéré ».
- 6 août 1928 : Enfin, plus impressionnant et encore plus dramatique, « Le Populaire » écrit que le tramway de Laleu a percuté violemment celui de La Pallice. Le bilan est lourd : 21 blessés et le conducteur qui a eu le crâne ouvert. Il s’agirait sans doutes d’une « erreur d’aiguillage ».
Au final, plus le temps passe et plus le tramway de La Rochelle amorce un grand retard technique par rapport aux autres agglomérations françaises. Depuis 1912, le tramway à propulsion air comprimé a été remplacée par l’électrique à Paris et dans la plupart des villes de France. La modernité technique que représente l’électricité et les faibles nuisances en font son atout. Cependant la Rochelle sera une des seules villes françaises avec Vichy a ne pas connaitre les tramways électriques. Le tramway apparait comme dépassé aux yeux des voyageurs.
Du côté financier, le tramway coute cher dans l’entretien des infrastructures (des voies de circulation) mais également dans l’entretien du véhicule.
Les municipalités commencent donc naturellement à se tourner vers un nouveau mode de transport en commun : l’autobus.
L’idée de changer les tramways en autobus nous vient de la Capitale. Paris reprend l’idée de l’omnibus (imaginé en 1826 à Nantes par Stanislas Baudry) et améliore le système en lançant l’omnibus automobile plus tard connu sous le nom d’autobus. A Paris, la première ligne d’autobus est mise en service en 1906, sur une longueur de 6 km. Petit à petit les tramways à propulsions et électriques disparaissent de la capitale au profit de l’autobus. Pour information, un omnibus est tiré par des chevaux alors qu’un autobus est tracté par un moteur électrique au départ.
Les autobus possèdent plusieurs avantages face aux tramways :
- Les autobus ne modifient pas la chaussée mais se contentent de l’emprunter,
- Ils ne sont pas bruyants,
L’arrivée du bus constitue une concurrence fatale pour le tramway de La Rochelle !
En 1928, un réseau d’autobus est mis en service avec crée deux lignes : « Saint-Eloi – Le Mail » et « Gare-Champs de Mars ». Il comprend deux autobus Delahayes type 83 et 89. La circulation de ces nouveaux véhicules suscite un grand intérêt auprès des habitants qui délaissent petit à petit les tramways.
Au final, le tramway périclita rapidement : une ligne fut supprimée dès 1913 et le réseau cesse son activité le 25 décembre 1929.
L’histoire du tramway de la Rochelle est pleine d’espoir et de déception.
En adoptant le tramway dernière génération à propulsion à air comprimé du modèle Mékarski, la ville se positionne comme pionnière. Et ce nouveau véhicule est d’abord craint mais remporte finalement un vif succès auprès des habitants.
L’arrivée de ce nouveau mode de transport bouleverse le quotidien de La Rochelle : transport des voyageurs, des marchandises et véritable outils publicitaires. Ainsi, le tramway s’inscrit dans le paysage urbain. Néanmoins, dans les années 1920, les voyageurs commencent à fortement critiquer le tramway le trouvant désuet, bruyant et dangereux. La ville n’a pas su le moderniser en adoptant le modèle électrique à l’instar des autres villes française. Et l’arrivée en 1928 du premier réseau de tramway signe la fin du tramway qui disparait du paysage urbain en 1929.
Comme plusieurs pays d’Europe , il faut attendre les années 1980 et 2000 pour voir réapparaître ce mode de transport dans les villes.
En 2001, la Communauté d’agglomération a espéré le retour du tramway en menant un projet avec l’entreprise locale Alstom (situé à Aytré) : construire une ligne de démonstration de 1600m dans le quartier des Minimes. La maison de la Charente-Maritime est alors reliée au rond-point de l’Europe par des rails flambant neufs. Cette ligne a été conçue pour 2 objectifs : tester les nouvelles applications du tramway imaginées par Alstom, mais également pour constituer les prémices d’un nouveau réseau de transport en commun à la Rochelle. Cependant le projet a été avorté (trop coûteux en termes d’aménagements et d’équipement). Aujourd’hui de ce projet il reste encore les rails devant La maison de la Charente-Maritime.
Aujourd’hui, les rails du tramway de La Rochelle ne sont plus visibles. Elles ont néanmoins été remises à jour et redécouverte durant une campagne de fouilles durant la réfection des quais Valin et Duperré en 2016 dans le cadre de la rénovation du vieux-port. Ce qui me laisse penser qu’au final, le tramway de La Rochelle ne nous a peut être jamais totalement quitté …
Super article!
Je me suis régalée a le lire..
Juste une question :at on vu les côtes immobilières monter ou descendre?…
Car un tel aménagement donne de la valeur aux quartiers desservis
Bonjour !
Avec grand plaisir ????. Oui c’est certain, l’arrivée du tramway à La Rochelle a pu faire monter le prix du foncier. Il s’agissait d’un nouveau moyen de communication et de transport moderne ainsi qu’un nouveau service. L’avoir en bas de chez soit à peut être pu voir la valeur des biens immobiliers augmenter le long des lignes ????. Cependant, je n’ai pas trouvé de sources dans ce sens. Je vais chercher mais je ne garanti pas de trouver la réponse … Il y a tellement peu de sources sur ce sujet dans les archives ????. En tous cas je suis ravi que cet article vous ai plu, ça me fait très plaisir !????
Je ne comprends pas que tout cela a disparu ce devait être économique et non polluant et je pense économique pas de caténaires apréciable
Cela aurait pu être perfectionné mais détruit tout simplement les maires ne voient pas loin en g »néral et 1974 je prônait l’abandon des parties basses suite à la montée de la mer je suis passé pour un fou
Conclusion on est géré par des incapables mais PARTOUT Ils se prennent pour des génies et préfèrent ceux qui font des rond de jambes aux gens efficaces le monde court à sa perte le commun des mortels s’en fiche et ceux qui sont aux commandes les bien personnel compte comment voulez vous que cela s’améliore !!!
Et en plus ils ont tout ferraillé comme à Rochefort ou la macinerie du transbordeur a été détruite idem pour les pompes de la forme Napoléon III la voie ferrée de rochefort le chapus l’hermionne qui se décompose fort boyard inutile la liste est longue
Bonjour monsieur Taverne,
Je vous remercie d’avoir donné votre avis très complet et avec autant de passion ????. Je suis ravi si l’article sur le tramway de La Rochelle vous a plu et vous a permis de mieux comprendre ce qu’était ce moyen de transport dans la ville ! Je précise quand même que ces propos n’engagent que vous et de part ma présence sur les médias sociaux et sur le blog, je me dois de rester neutre sur ces questions ????.
Très belle journée à vous et à bientôt !
Bonjour. Votre article très bien documenté m’est très utile car je fais des recherches sur les projets de tramways à voie métrique de cette même époque à Rochefort, mais étonnamment aucun n’a vu le jour. Bien que ce soit la propulsion électrique promue par l’ingénieur E.Cauderay ait été très vite retenue par la Commission dédiée, des interférences avec les projets des Chemins de Fer Economiques des Charentes, notamment sur la liaison entre Rochefort et Tonnay-Charente et au-delà, ont fini par bloquer la déclaration d’utilité public au niveau de l’Administration (Ministère des Ponts et Chaussées). Alors qu’à La Rochelle, tout semble s’être déroulé en bonne intelligence au niveau du Conseil Municipal.
Bonjour !
Merci beaucoup pour toutes ces informations complémentaires. Je ne savais pas qu’il y avait eu un projet de tramway à Rochefort également.
Peut être que les conditions n’étaient pas favorables ? (Une fréquentation trop faible, un terrain marécageux, …) ? En tous cas s’aurait été vraiment sympa un tramway dans cette ville aussi ! ????